Consommation d'alcool, de tabac ou de cannabis au cours de la grossesse

Roger Nordmann
au nom de la Commission V (Troubles mentaux-Toxicomanies)
Académie nationale de médecine

Les données cliniques les plus récentes ont clairement établi que la consommation d'alcool, de tabac ou de cannabis a des conséquences néfastes sur le déroulement de la grossesse et le devenir de l'enfant.

L'alcool traversant aisément la barrière placentaire exerce une action délétère sur le cerveau foetal, lequel se trouve particulièrement exposé du fait des caractéristiques circulatoires de l'unité foeto-placentaire. En fonction de la période et de l'intensité de l'exposition prénatale à l'alcool, ce dernier peut affecter les structures primitives du cerveau, la régulation de la migration et de la multiplication des neurones ainsi que de la formation des synapses, ceci en particulier au niveau des structures impliquées dans les processus de mémorisation et d'apprentissage.

Cette toxicité embryo-foetale se traduit ainsi à l'extrême par le syndrome d'alcoolisation foetale comportant une dysmorphie cranio-faciale, des malformations, un retard de croissance, ainsi que des troubles comportementaux et cognitifs majeurs. Le plus souvent, cependant, les anomalies sont moins sévères, mais se traduisent néanmoins par des altérations du développement, ainsi que des troubles du caractère, de l'attention, de l'acquisition du langage, de la lecture et de l'écriture, si bien que la consommation d'alcool pendant la grossesse représente la cause majeure de retard mental d'origine non génétique ainsi que d'inadaptation sociale de l'enfant.

II convient de souligner que l'exposition prénatale à l'alcool représente un facteur de risque embryo-foetal à tous les stades de la grossesse, et notamment à son début, risque qui est commun à toutes les variétés de boissons alcoolisées (vin, bière, cidre, spiritueux, etc.) et qui existe même lors de consommations ponctuelles.

Le tabagisme est responsable, pour sa part, d'anomalies du déroulement de la grossesse, d'accouchements prématurés et de retards de croissance in utero.

La consommation de tabac pendant la grossesse et après l'accouchement entraîne de plus un risque accru de mort subite du nourrisson, ainsi qu'une sensibilité plus grande de l'enfant aux infections respiratoires, à l'asthme et aux otites.

Le principe actif majeur du cannabis, le delta-9-tétrahydro-cannabinol, traverse lui aussi aisément la barrière placentaire. La consommation régulière de cannabis peut ainsi être à l'origine de retards de croissance et de troubles du comportement, ce d'autant plus qu'elle est généralement associée à celle de tabac et/ou d'alcool. Elle peut également déterminer à la naissance un syndrome de sevrage se manifestant par une agitation, un cri caractéristique et des troubles du sommeil. A plus long terme, elle peut être cause d'altérations cognitives. De plus, son implication éventuelle dans la survenue d'une leucémie lymphoblastique aiguê a été signalée.

A propos de l'alcool, du tabac et du cannabis, il est bien établi, que l'usage simultané de plusieurs de ces substances psychoactives au cours de la grossesse potentialise leurs effets et augmente donc considérablement les risques encourus.

En conséquence, l'Académie nationale de médecine émet les recommandations suivantes :

  1. Une information précise concernant les effets néfastes de la consommation d'alcool, de tabac ou de cannabis sur le déroulement de la grossesse et l'avenir de l'enfant doit s'inscrire dans le cadre de l'éducation pour la santé à l'école, dans les collèges et lycées, les centres d'apprentissage, les entreprises et lors de la journée d'appel de préparation à la défense.
  2. Cette information devrait également figurer sur les conditionnements de boissons alcooliques et de tabac.
  3. Toute femme enceinte ou désirant le devenir doit être informée avant la procréation ou dès la première consultation de grossesse des dangers d'une telle consommation, même modérée, laquelle doit être dépistée au cours de cette consultation.
  4. La grossesse représentant un moment privilégié pour l'arrêt de consommations potentiellement nocives, l'intéressée devrait, si elle est incapable de suspendre elle-même sa consommation, être adressée à un centre qualifié ou à un personnel spécialisé en milieu obstétrical. Elle devrait bénéficier à cet effet d'un accès prioritaire à ces filières de soins. Une aide spécifique à l'arrêt de la consommation de tabac doit être envisagée en cas de tabagisme.
  5. En cas de maintien d'une consommation d'alcool, de tabac ou de cannabis, une aide à la mère et à la famille devrait être assurée après l'accouchement et le retour à domicile dans les services de protection maternelle et infantile, dans les centres d'action médico-sociale précoce avec la collaboration du médecin généraliste et du pédiatre.

L'Académie, saisie dans sa séance du mardi 2 mars 2004, a adopté le texte de ce communiqué (trois abstentions).

Pour copie certifiée conforme,

Le Secrétaire perpétuel, Professeur Jacques-Louis BINET

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